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Les Vendredis de la Commission, Addis Ababa, Ethiopie, 12 Décembre 2008 | www.africa-union.org
« Les Vendredis de la Commission » sont des conférences/débats trimestriels sur des problématiques sociales, politiques et économiques africains organisés par le Département des affaires économiques de la Commission de l’Union Africaine.
I- Les origines de la crise : La mondialisation
1) Les sources de la mondialisation
Trois circonstances ont donné naissance à la mondialisation :
La première a consisté en l’abolition par le président américain Richard Nixon, au début des années 1970, de l’étalon or et du régime des taux de change fixes mais ajustables, issus des accords de Bretton Woods. De cette décision ont résulté l’adoption de l’« étalon dollar » et une création monétaire totalement assujettie au volume des crédits levés par les banques, les États, les entreprises et les particuliers.
La seconde tient à l’invention de la puce électronique qui a conduit à une révolution dans les technologies de l’information et de la communication, c’est à dire au mariage de l’ordinateur et de la téléphonie.
La troisième se rattache à l’effondrement de l’ancien empire soviétique qui a laissé le champ libre à la doctrine libérale et à l’hégémonie des Etats-Unis. Une ère que l’universitaire américain, Francis Fukuyama, se plut à décrire comme étant « La fin de l’histoire » dans un article publié en juin 1989.
C’est dans une telle configuration que se sont développées une croissance accélérée des liquidités internationales et une économie mondiale d’endettement. Le volume des transactions journalières sur les marchés financiers a atteint des niveaux extravagants qui se chiffrent à des milliers de milliards de dollars par jour. Celles-ci peuvent aussi bien relever d’activités économiques que d’opérations spéculatives.
2) Les opérations spéculatives
La vocation de l’économie est de produire et de distribuer des biens et des services, celles des banques étant d’en financer les activités. Cela implique que tout crédit appelle en contrepartie un actif avéré. Une transaction financière qui déroge à cette règle a toutes les chances d’être spéculative.
Les opérations spéculatives sont des produits financiers totalement déconnectés de l’économie réelle. Leur seule finalité est de procurer des profits à ceux qui s’y adonnent. Les exemples sont légion :
· Produits dérivés :
Les marchés financiers spéculent : sur le niveau des taux d’intérêt, le prix du baril de pétrole, les prix agricoles, les cours des devises, des matières premières et des actions. Les acteurs engagés dans ce négoce à haut risque récoltent des profits énormes. Rien que durant la première moitié de l’année 2006, les transactions sur le marché des dérivés se sont élevées à 370 000 milliards de dollars.
· Titrisation :
C’est un processus par lequel des organismes préteurs vendent leurs portefeuilles de prêts à des banques d’affaires pour lever des fonds. Ces dernières, à leur tour, pour disposer de nouvelles ressources, transforment ces « pools de crédits» en titres financiers qu’elles revendent aux investisseurs, notamment les banques, caisses de retraite, compagnies d’assurance et autres investisseurs privés. Ces titres sont d’autant plus prisés qu’ils ont reçu préalablement l’aval des agences de notation financière telles que Standard & Poors, Moody’s et Fitch qui leur ont attribué des notes de risques extrêmement favorables leur garantissant des rendements élevés. Ces titres ont pour origine les prêts généreusement accordés par des banquiers qui n’ont cure de rien d’autre que de profits. Ces profits servent de base de calcul aux bonus reversés qui représentent 60% de leurs salaires. Ils sont, sur ce point, peu regardants sur la solvabilité de leurs clients, assurés qu’ils sont à l’avance des profits scandaleux qu’autorise le système. Les résultats à court terme ainsi obtenus fragilisent considérablement les systèmes de gestion des risques. L’édifice s’est donc tout naturellement effondré suite à la hausse des taux d’intérêt qui a affecté des millions de ménages américains au point de les mettre dans l’incapacité de rembourser leurs crédits immobiliers. Des pertes énormes au sein des établissements financiers se sont ensuivies. Pis que cela, l’étendue des pertes est impossible à chiffrer, dans l’ignorance où l’on est de la valeur réelle des titres attribués aux crédits immobiliers rebaptisés « subprimes ».
· « Vente à découvert de titres » :
Une banque « loue » ou « emprunte » à des courtiers des actions qu’elle vend immédiatement au cours du jour. Elle se met ensuite en devoir de spéculer à la baisse du cours de ces mêmes actions. A la « date de clôture » du contrat d’« emprunt » ou de « location », la banque les rachète pour les rendre à son courtier. Elle empoche un profit si le cours des actions a baissé. Dans le cas contraire, elle subit des pertes.
· Fusions et acquisitions :
Un grand nombre de fusions et d’acquisitions d’entreprises procède d’avantage de visées spéculatives destinées à faire grimper artificiellement, par un effet d’annonce, les cours des actions des entreprises impliquées dans le processus, que de recherche d’optimisation des ressources des dites entreprises. Les protagonistes engagés dans ces opérations s’empressent, dès leur conclusion, de récolter leurs profits, à la suite de quoi, ils s’attachent à démanteler et à restructurer les compagnies tombées sous leur escarcelle. S’ensuivent, tout naturellement, des réductions drastiques de personnel pour engranger le maximum de profits. Selon Thomson Financial, en 2006, les fusions et acquisitions dans le monde ont globalement représenté quelques 3 610 milliards de dollars.
Toutes ces opérations spéculatives précitées ne se seraient jamais produites si les Banques centrales, bras séculiers des Etats, en avaient régulé les mécanismes. Au lieu de cela, le marché a exigé et obtenu qu’elles soient indépendantes. Difficile d’imaginer qu’un organe aussi vital qu’une Banque centrale, institut d’émission et de régulation par lequel l’Etat exerce son pouvoir régalien, puisse être exonérée du contrôle de l’entité d’où elle tire sa propre légitimité, autrement dit, de celle-là même qui a charge de définir et de faire appliquer les fondamentaux qui doivent sous-tendre toute politique financière et monétaire d’un Etat ou d’un groupement d’Etats.
II- La crise et ses conséquences
Ces pratiques spéculatives, non seulement privent l’économie réelle d’investissements productifs et de créations d’emplois, mais elles contribuent, de surcroît, à l’instabilité du système monétaire international et à la fragilisation de l’ordre économique et des pouvoirs publics. Ainsi, le monde, tout particulièrement les Etats-Unis et les pays européens, est plongé dans une crise financière et économique sans précédent depuis la grande dépression de 1929. Environ 25 000 milliards de dollars sont partis en fumée depuis le début de l’année 2008. Les pays de l’Union Européenne ont ainsi dû adopter des plans de sauvetage de l’ordre de 2.000 milliards d’euros et les Etats-Unis de 700 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter 500 milliards de dollars provenant de la nationalisation des agences de refinancement Fannie Mae et Freddie Mac, d’AIG et les garanties de la Réserve Fédérale des Etats-Unis pour le rachat de Bear Stern. Ces différents plans reposent sur les cinq volets suivants :
- la recapitalisation du système bancaire par l’injection de fonds publics ;
- la fourniture de liquidités à court terme aux banques pour faire redémarrer les crédits à l’économie ;
- la garantie des prêts interbancaires et des dépôts pour restaurer la confiance entre les banques et auprès des épargnants ;
- le rachat par le Trésor américain des créances douteuses pour soutenir la reprise du marché des titres immobiliers ;
- la réduction drastique des taux d’intérêt et la baisse des impôts sur les bas salaires pour soulager les débiteurs et encourager la consommation, aux fins de relance de l’économie.
Il est à craindre, toutefois, que la mise en œuvre de ces gigantesques plans de sauvetage bancaires et les annonces de généreux programmes de relance budgétaire pour soutenir l’activité, ne suffisent à enrayer la crise, ce qui précipiterait les économies américaine et européenne dans une longue et douloureuse période de récession qui n’épargnerait pas les autres économies du monde. En effet, les marchés financiers sont devenus de telles bulles séparées de la réalité économique que les actifs et les dettes ne sont plus quantifiables. Alors, quel crédit peut-on accorder à de tels plans ? Le scénario d’une dépression comme le Japon en a connue dans les années 1990, en dépit de l’énormité des sommes injectées dans son économie et de la réduction des taux d’intérêts ramenés à un niveau zéro, est une menace bien réelle.
1- Les conséquences de la crise au niveau mondial
Selon le Fond Monétaire International (FMI), à partir de 2009, tous les pays développés, à l’exception du Canada seront en récession. Les pays occidentaux affectés ont des niveaux d’endettement si élevés et des déficits si importants qu’ils sont totalement dépendants des pays excédentaires comme la Chine, le Japon ou la Russie, mais aussi des fonds souverains du Moyen-Orient et d’Asie, pour relancer leurs économies par des programmes keynésiens d’investissements publics, d’accroissement des exportations et de disponibilités de crédits à bon marché pour la reprise de la consommation. Les zones les plus dynamiques resteront la Chine (8,5%), l’Inde (6,3%), la Russie (5,5 %) et le Moyen-Orient (5,3%).
2- Les conséquences de la crise au niveau du continent africain
A priori, l’Afrique serait le continent le moins touché par la crise financière, compte tenu de sa faible intégration à la mondialisation économique et financière. Cette crise résulte avant tout et surtout de la raréfaction de crédits en faveur des entreprises occidentales, ce qui explique que l’Afrique soit, in fine, moins concernée que les autres. De manières générales, seules 2% de la population ont accès au crédit en Afrique subsaharienne, comparés à 26%, par exemple, en Amérique latine. Les organismes de crédit qui opèrent dans la région sont des banques commerciales qui accumulent des profits et des liquidités en finançant avec des crédits à court terme les besoins d’importation des Etats en pétrole, denrées alimentaires, biens d’équipements et autres produits de consommation. Elles prêtent peu aux entreprises locales et assez rarement aux particuliers.
Ainsi, malgré l’effondrement général, le taux de croissance en Afrique subsaharienne pourrait atteindre 6 % en 2009. Pour abonder dans ce sens et selon l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), l’Afrique sub-saharienne traverse sa meilleure situation économique depuis une trentaine d’année. C’est d’ailleurs le continent tout entier qui manifeste une solidité inhabituelle : 6,1 % en 2006, 6,3 % en 2007 et 5,9 % en 2008. Ce beau résultat est le fruit du maintien à un niveau relativement élevé des cours des matières premières (pétrole, minéraux, bois, produits agricoles) s’expliquant par une demande asiatique vigoureuse, mais aussi, par une sensible amélioration de la gouvernance et l’absence de produits financiers « toxiques » dans les comptes des banques africaines. Certes, le continent pâtira lui aussi du ralentissement conjoncturel venu du Nord et de la raréfaction d’un crédit déjà accordé au compte-gouttes par les banques locales. Mais son isolement par rapport au commerce international (moins de 3 % des échanges mondiaux) présentera alors un avantage, car il lui épargnera la profonde dépression des économies très ouvertes, très spéculatives et par la même très vulnérables.
Ce diagnostique extrêmement favorable suscite toutefois des réserves car il porte sur une moyenne qui occulte les particularités.
En tout premier lieu, les économies des pays membres de la zone franc, du fait de leur monnaie, le franc CFA, librement convertible et transférable, sont aussi ouvertes que celles des pays occidentaux, donc, sujettes à des assauts spéculatifs sur leur monnaie. Le taux de change fixe extrêmement favorable du franc CFA par rapport à l’euro va être encore plus attrayant pour les spéculateurs qui vont inonder les banques de la zone de fonds spéculatifs à court terme impropres au financement de projets de développement qui requièrent des crédits à moyen et long terme. Pire, les pays membres de la zone franc seront dans l’incapacité de puiser dans les milliards de dollars de leurs réserves de changes thésaurisés au Trésor français pour relancer leurs marchés intérieurs, ces réserves servant à garantir la convertibilité du franc CFA. La Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), les deux banques centrales de la zone franc, qui ne rendent en réalité compte qu’aux autorités françaises et sur la gestion desquelles les Etats n’ont aucune prise, vont perpétuer les politiques dictées par le Trésor français qui limite les activités des banques de la zone au financement de la consommation et non à des activités productives.
En second lieu, si les revenus générés par la flambée des cours des matières premières de ces dernières années ont donné un coup de fouet aux économies de la région, les pays qui n’ont pas fait usage de cette embellie pour éponger leurs dettes, diversifier leurs économies en manufacturant des produits de substitution à leurs importations et en investissant dans l’amélioration de leurs infrastructures et de leur développement, vont subir les contrecoups de la récession mondiale.
En troisième lieu, en temps de crise économique, les valeurs refuges prisées par les investisseurs et les spéculateurs sont le pétrole et les métaux précieux tels que l’or et le platine et leur demande ira s’accroissant au fur et à mesure que le monde s’enfoncera dans la dépression. La demande des autres matières premières va, au contraire, baisser consécutivement au ralentissement mondial, ce qui ne manquera pas d’agir négativement sur les économies des pays exportateurs.
Si les effets néfastes de la mondialisation n’épargnent aucune contrée du monde, la situation de l’Afrique aurait pu, incontestablement, être meilleure si elle avait pris soin de développer les solidarités régionales dans l’exploitation de ses ressources au sein d’un marché élargi.
III- Les stratégies de résistance et de sortie de crise
2)- La réforme du système monétaire international
Le système monétaire international d’après-guerre, dont les dysfonctionnements sont à l’origine de la crise financière mondiale, est né en 1944 des accords de Bretton Woods qui reposaient sur la convertibilité des devises, la stabilité des taux de change et le libre-échange. C’est pour atteindre ces objectifs que le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement ou Banque Mondiale avaient été fondés. Les dits-accords ont été battus en brèche et vidés de toute substance par l’adoption du système des changes flottants en1973 ; la suppression des commissions fixes sur les valeurs mobilières en 1975 ; les variations des taux d’intérêt à partir de 1979 et les pratiques commerciales discriminatoires dont les occidentaux se sont faits les plus fervents praticiens.
De surcroît, on se souviendra que pour éviter une répétition des excès spéculatifs qui avaient conduit au krach boursier de 1929, le congrès américain avait légiféré pour mettre en place, en 1933, le Glass-Steagall Act. Il s’agissait de sécuriser et de réguler les activités du marché des capitaux pour doter le monde d’un système monétaire stable. Le big-bang des années 1980 sonna le glas de ces régulations et déboucha sur l’enrichissement d’une toute petite minorité au détriment d’une majorité écrasante de pauvres. Rappelons que les 500 entreprises les plus puissantes du monde détiennent 52% de toutes les richesses produites sur la planète 1. Ces disparités créent des crises sur tous les fronts : religieux, moral, social, environnemental, politique, économique et monétaire. Si l’on en croit Lénine, les grandes réformes naissent des grandes crises. Espérons que des crises actuelles naîtront un nouvel ordre économique et un système monétaire international plus justes.
Le premier Sommet du G20 2 sur les marchés financiers et l’économie mondiale s’est tenu le 15 novembre 2009 à Washington. Les discussions préliminaires ont porté sur les remèdes à apporter à la crise et sur l’ossature de la nouvelle architecture monétaire et financière dont il faudrait doter le monde. Les leaders du G20 se sont accordés sur un ensemble de principes :
- relancer de manière coordonnée l’économie mondiale par des mesures budgétaires pour soutenir la demande et renforcer l’aide du FMI et des autres Banques de développement en faveur des pays les plus fragiles ;
- préparer des recommandations précises et concrètes avant le 31 mars 2009 en vue de l’amélioration de la régulation des marchés financiers internationaux ;
- améliorer la gouvernance économique mondiale par une ouverture des institutions de Bretton Woods, le FMI notamment, aux pays émergents et en développement ;
- refuser les tentations protectionnistes et préserver les principes de l’économie de marché. Cette dernière déclaration a été prise en compte sur l’insistance du président américain sortant, George Bush.
II est à regretter, tout simplement, que la fermeture des paradis fiscaux, une condition sine qua non à l’instauration d’un système monétaire transparent, n’ait pas été citée.
La nature que prendra le système en voie d’élaboration est de première importance pour les Etats africains qui vont être appelés à rompre avec les politiques néolibérales afin de planifier, piloter et réguler leurs économies pour asseoir les politiques et les stratégies appropriées pour leur développement. L’Afrique doit faire entendre sa voix. Elle a pratiquement été exclue des discussions préliminaires dans lesquelles elle ne disposait que d’un représentant : l’Afrique du Sud, seul membre africain du G20. Il est symptomatique que le vingtième membre de ce groupe soit l’Union européenne. Il serait logique, sans pour autant verser dans un mimétisme facile, que l’Afrique s’approprie la même démarche et que l’Union africaine soit cooptée. Elle aurait vocation à proposer des voies pouvant aider à surmonter la crise, en privilégiant les intérêts propres de ses Etats-membres, pour l’édification d’un nouveau système monétaire international.
1)- L’importance des solidarités régionales
Si les effets néfastes de la mondialisation n’épargnent aucune contrée du monde, la situation de l’Afrique noire aurait pu, incontestablement, être meilleure si elle avait pris soin de développer les solidarités régionales dans l’exploitation de ses ressources au sein d’un marché élargi, seul rempart efficace contre les effets dévastateurs du capitalisme sauvage de la mondialisation.
C’est le cas des pays groupés au sein de l’Association des Nations du Sud-est asiatique (ASEAN 3 ), Leur décision de mettre en œuvre, pour chaque secteur économique, des « feuilles de route » qui définissent les priorités en matière d’intégration, soulignent leur volonté de donner une priorité absolue à l’intégration sectorielle et à la réalisation d’une communauté économique. Le niveau important des échanges intra-régionaux asiatiques (55%), leur procure une soupape de sécurité face à la concurrence et aux chocs mondiaux. De surcroît, ils ont constitué des niveaux élevés de réserves de change qui leur procure la possibilité de poursuivre des politiques alternatives à celles néolibérales des occidentaux, et de disposer des ressources pour maintenir un rythme soutenu d’activités économiques élevé, fondé sur la dynamisation du marché interne.
Le Marché commun du sud (Mercosur 4 ), quant à lui, a adopté une stratégie qui donne la priorité à la création d’une zone de libre-échange sans se doter d’une lourde bureaucratie budgétivore. Pour 2006, les exportations intra-régionales des pays du Mercosur ont été de 13,6%, soit 25 794 millions de dollars tandis que les importations intra régionales ont représenté 18,8%, soit 26 415 millions de dollars 5. 50 % du commerce extérieur de l’Uruguay et 65 % de celui du Paraguay s’effectuent dans le Mercosur. Pour l’Argentine et le Brésil les volumes sont respectivement de 33 % et 15 %. L’autre avantage majeur de ce groupement régional a été sa capacité à drainer l’investissement direct étranger (IDE). Depuis sa création au début des années 90, le Mercosur a réussi à mobiliser 5,9% 6du volume mondial d’IDE. En matière d’investissements croisés, l’interaction entre les pays membres a été significative. L’Argentine est désormais le deuxième partenaire commercial du Brésil, derrière les États-Unis. Le Brésil quant à lui est le premier partenaire commercial de l’Argentine devant les États-Unis. Les pays du Mercosur se sont par la suite engagés dans la voie d’une convergence de leurs politiques économiques, industrielles, scientifiques et technologiques.
De même, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) assigne comme objectif principal à ses membres 7 une totale coopération dans les domaines politiques, économiques et commerciaux, scientifiques et techniques, culturels et éducatifs, ainsi que dans ceux de l’énergie, des transports, du tourisme et de l’environnement, afin de sauvegarder la paix, la sécurité et la stabilité régionales, et d’œuvrer ainsi à la création d’un nouvel ordre politique et économique international plus juste.
Par contraste saisissant, les économies des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique dont les échanges externes sont disproportionnellement plus importants que leurs échanges internes reposent sur des structures fragiles.
LA LOGIQUE CIRCULAIRE DU MARCHE COMMUN
3)- Les priorités africaines
Les leaders africains devraient se réunir pour examiner les effets de la crise financière internationale sur les économies africaines et proposer des voies pouvant aider à surmonter les difficultés qui lui sont liées. Dans un premier temps, il serait opportun d’adopter des mesures d’urgence pour réduire l’impact des chocs externes asymétriques résultant de la crise par les mesures suivantes :
· Mettre en place un marché commun régional
Comme nous l’avons constaté précédemment, les solidarités régionales offrent le meilleur cadre d’exploitation optimale des ressources d’une région. Les stratégies que le continent africain doit mettre en place pour combattre les forces destructrices de la mondialisation devraient donc donner la priorité absolue à l’intégration régionale. C’est une condition préalable pour se prémunir contre le fondamentalisme des marchés et échapper aux conditions inéquitables des échanges internationaux.
Un modèle d’intégration passe par six étapes :
• une zone de libre échange (suppression des droits de douane entre les membres) ;
• une union douanière (adoption d’un tarif extérieur commun) ;
• un marché commun (libre circulation du travail et du capital, des biens et des services) ;
• une union économique (coordination des politiques économiques) ;
•une intégration économique complète (systèmes budgétaires intégrés, communauté économique, monnaie et banque centrale communes).
• une union politique (une constitution et un gouvernement)
La stratégie la plus adaptée à la mise en place de ce modèle doit donner la priorité aux trois premières étapes du modèle d’intégration qui correspondent à des accords commerciaux régionaux (ACR). D’où la nécessité de donner une priorité absolue à la création d’une zone de libre-échange, d’une union douanière et d’un marché commun pour faire du commerce intra-régional le premier levier de croissance économique pour le développement de la région. Les pays d’une même zone dont les échanges intracommunautaires sont supérieurs à leurs échanges extracommunautaires disposent d’économies plus performantes et plus résistantes.
· Instaurer un système monétaire africain
Il convient également de mettre en place un système rigoureux de contrôle sur les mouvements de capitaux et sur les changes pour juguler la fuite des capitaux. Cette mesure devra être complétée par l’instauration d’un système monétaire africain (SMA). Les objectifs du SMA seraient d’assurer la stabilité entre les monnaies des pays membres du système, de rapprocher leurs économies en limitant l’instabilité des changes, d’induire des politiques de constitution de réserves de change importantes, d’adoption de règles de solidarité budgétaire, d’augmentation des budgets communautaires pour les doter de fonds stabilisateurs. Ces mesures sont les plus propres à accroître dans un proche avenir leurs échanges intra-communautaires anémiés.
Pour les pays membres de la zone franc, il y a urgence à réviser les accords qui les lient à la France en commençant par abroger la convertibilité du franc CFA, et par recouvrer la gestion de leurs réserves de change pour articuler des politiques monétaires autonomes.
· Accéder directement aux marchés financiers
Il convient de rappeler, qu’aucun pays d’Afrique Noire, à l’exception notable de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, naguère administrés par des gouvernements à minorité blanche, n’était autorisé à lever des fonds sur les marchés des capitaux internationaux au début de leurs indépendances, dans les années 1960, car jugés insolvables par les agences internationales de notation financière. Amère ironie de l’histoire : ces mêmes agences, au même moment, donnaient pourtant la notation la plus élevée (AAA) aux Etats, aux banques et aux conglomérats dont la banqueroute est au cœur des bourrasques financières actuelles.
À défaut d’avoir eu la possibilité d’emprunter sur les marchés financiers internationaux, ces pays n’ont alors eu d’autre choix que de sous-traiter leur développement avec le FMI et la Banque mondiale qui ont préconisé une stratégie de développement fondée sur une libéralisation économique effrénée, avec les résultats désastreux que l’on connaît. Pour les pays africains, un nouveau système monétaire n’aurait de sens que s’il contribue à les affranchir de ce diktat et de cet ostracisme afin qu’ils puissent emprunter directement sur les marchés financiers internationaux au mieux de leurs intérêts.
· Rompre avec l’industrie de l’« aide »
L’« aide », sous ses formes actuelles : aide publique et prêts multilatéraux, n’est rien d’autre qu’une industrie permettant à l’Occident de prendre en otage les pays africains constamment maintenus sous perfusion, à seule fin de servir ses intérêts. Cette industrie de l’aide permet aussi au FMI et à la Banque mondiale d’engranger des profits et réserves qu’ils recyclent pour financer des programmes de prêts qui ne sont ni économiquement viables ni financièrement justifiés, privilège qu’ils tirent de leurs prérogatives de prêteurs de dernier recours des États africains. Cette position dominante est renforcée par le fait que ces derniers ne peuvent accéder à aucun autre crédit auprès des organismes de crédits occidentaux sans l’aval préalable de ces institutions. Les populations, constamment saignées à blanc par le service des dettes générées par cette « aide », n’en tirent aucun avantage.
Les analyses convergent pour prédire que l’impact de la crise en Afrique se fera davantage ressentir dans l’aide publique au développement dont le volume risque de diminuer, compte-tenu des restrictions budgétaires opérées dans les principaux pays avancés. Une telle perspective serait plutôt une occasion providentielle pour l’Afrique de se guérir de son accoutumance à la politique d’« aide ». Elle justifie, à tout le moins, la justesse du propos que suggère le proverbe : « à quelque chose malheur est bon ». L’investissement productif et le commerce équitable doivent prendre le relais dans un processus de révision globale de la politique d’« aide » et du système monétaire international.
· Récupérer les actifs publics bradés
Ayant été contraints à l’application de la doctrine libérale du « laissez faire », les pays africains ont été réduits à laisser les entreprises étrangères faire main basse, à des prix bradés, sur leurs actifs publics les plus lucratifs (télécommunications, eau, électricité, banques, assurances, industries, etc.) par le biais des privatisations des programmes d’ajustement structurels. De tous les pays affectés par ces liquidations, ceux francophones de la zone franc ont été les plus touchés. Ils ont en effet vu, en janvier 1994, leur monnaie, le franc CFA, dévaluée de 100 % à la veille de la cession de leur patrimoine à des entreprises occidentales, principalement françaises. Ces privatisations des actifs nationaux ont donc été, en réalité, du fait même de l’érosion de leur valeur, des liquidations pures et simples. Ces dernières ont parachevé le processus de paupérisation et d’accaparement des biens des pays de la région. Avec la crise actuelle, l’Occident s’est mis à redécouvrir les vertus de la propriété publique en nationalisant ses entreprises en difficulté. Les pays africains se devraient d’adopter les mêmes politiques en légiférant sur la recapitalisation de leurs patrimoines spoliés, en gardant en mémoire les impératifs que voici :
– reprendre un contrôle majoritaire dans le capital de leurs compagnies ;
– en ouvrir les capitaux aux nationaux.
· Lutter contre la fuite des capitaux
Les facteurs à l’origine du phénomène de la fuite des capitaux sont :
– le paiement des intérêts et de l’amortissement des dettes contractées par les pays de la région ;
– l’adjudication à des firmes étrangères de la quasi-totalité des contrats financés par ces dettes ;
– les exemptions de droits de douane, de taxes et d’impôts dont jouissent les biens et services financés par les Institutions financières internationales ;
– la détérioration des termes de l’échange (le différentiel entre les prix des biens manufacturés importés par les pays de la région et ceux des matières premières exportées par ces mêmes pays) ;
– les opérations spéculatives ;
– le libre transfert des profits réalisés sur place ;
– les réserves de change détenues sur des comptes à l’étranger ;
– la propension des élites à exiler leurs capitaux ;
– le détournement des recettes d’exportation, particulièrement celles du pétrole et les prébendes.
Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), la fuite des capitaux a été évaluée, depuis les années 1970, à 400 milliards de dollars : une hémorragie qui représente près du double de la dette globale de l’Afrique qui était estimée à 230 milliards de dollars en 2005. Entre 1991 et 2004, la fuite des capitaux était, en moyenne, de 13 milliards de dollars chaque année, soit 7,6 % du produit intérieur brut (PIB) annuel du continent. Pour la seule année 2003, les sorties de capitaux avaient atteint 30 milliards de dollars. La CNUCED précise que le tiers des fonds qui s’évadent de l’Afrique, provient des détournements organisés sous le couvert de la légalité et des opérations de corruption.
Selon les estimations de la Banque mondiale 8, entre 20 et 40 milliards de dollars placés sur des comptes en France, en Suisse, au Royaume-Uni ou dans différents paradis fiscaux proviennent des pots-de-vin payés à des dirigeants corrompus de pays pauvres.. Un processus de renationalisation devrait inclure une incitation au retour de ces capitaux exilés comme cela a été le cas dans les autres régions du monde.
Une politique de recapitalisation bien préparée et bien menée offrirait aux détenteurs africains de capitaux exilés la possibilité d’acquérir des actifs dans des secteurs hautement profitables (électricité, gaz, télécommunications, transport, banques, etc.). La rentabilité qu’offrent de tels investissements stimule la mobilisation de l’épargne interne et le retour des capitaux exilés. Salomon Brothers, la banque américaine d’investissement, avait estimé à 40 milliards de dollars le retour des capitaux exilés dont avaient joui en 1991 les économies d’Amérique Latine, notamment le Mexique, le Venezuela, le Brésil, l’Argentine et le Chili. Ces flux avaient atteint 56 milliards de dollars pour la Chine de 1989 à 1991.
Des économies du Moyen-Orient ont également bénéficié de ces retours de capitaux lorsque le congrès américain vota le « patriotic act » qui menaçait de saisir les actifs de toute personne ou organisation soupçonnée de liens avec le terrorisme international. Cela eut pour conséquence de susciter une réaction de peur chez les Arabes qui avaient placé leurs avoirs aux États-Unis. Ils rapatrièrent leurs capitaux. Dubaï et l’Arabie Saoudite furent alors inondés de ces fonds. Pour ce qui est des africains, la crise majeure qui s’amorce devrait inciter au retour des capitaux exilés, comme cela s’est opéré grâce au « patriot act » pour les capitaux arabes.
· Développer les bourses nationales et régionales
Un mécanisme efficace de mobilisation de l’épargne interne et externe à des fins de développement passe par une consolidation des bourses de valeur au niveau des pays et des régions. Présentement, ce sont les entreprises cédées au secteur privé, telles que Sonatel, qui sont les plus actives à lever des fonds sur les places financières africaines existantes. Ceci n’est rien d’autre qu’une autre forme de détournements de fonds préjudiciable à la bonne santé des économies africaines. Une éducation appropriée des populations à l’actionnariat est nécessaire pour une plus grande implication du public et des entreprises locales dans la mobilisation de l’épargne nationale et de celle des membres de la diaspora.
· Adopter les pratiques commerciales discriminatoires des occidentaux
Selon une étude publiée en 2003 9, durant toute la phase préliminaire de leur développement, les États-Unis, les États membres de l’Union européenne et les pays d’Asie de l’Est ont tous réglementé les investissements étrangers et mis en place des systèmes de contrôle des mouvements des capitaux. Les partenariats avec les entreprises étrangères ont été élaborés pour favoriser les transferts de technologies et la formation, afin d’ajouter de la valeur à la production locale et créer, pour les producteurs locaux, les conditions propices à la concurrence. À titre d’exemple, les États-Unis prélèvent des droits de douane de l’ordre de 30 % sur les importations d’acier pour protéger leur production nationale et le Japon n’hésite pas à appliquer des taxes pouvant aller jusqu’à 500 % sur le riz importé pour les mêmes raisons. La perpétuation de ces pratiques est à l’origine de l’échec des négociations commerciales tenues jusqu’à présent sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), depuis les sommets de Doha, en 2001, de Cancun, en 2003 et de Genève en 2008.
Les Africains, quant à eux, se sont vu interdire par les pays du Nord, toute forme de protectionnisme ou de subventions pour protéger leurs économies, ce qui fait dire au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) que les pays dits en développement perdent environ 24 milliards de dollars par an en raison du protectionnisme agricole et des subventions en usage dans les pays du Nord. À chacun de ces dollars perdus, il faut en ajouter trois pour tenir compte du manque à gagner en terme d’emplois et d’investissements. Au total, les pertes atteindraient quelque 70 milliards de dollars, montant comparable à l’aide publique au développement. Ainsi, ce qui est donné d’une main est repris de l’autre.
Les pays africains devraient s’approprier les stratégies de protection, de subvention et d’investissements ciblés des pays développés. Ce n’est pas un hasard si les pays qui ont le mieux absorbé les chocs de la mondialisation sont ceux qui, comme la Chine, l’Inde ou la Malaisie, en ont fait le meilleur usage en refusant de se laisser imposer les recettes néolibérales des institutions de Bretton Woods.
· Assurer la sécurité alimentaire des populations
Les pays d’Afrique, pour nourrir leurs populations, se doivent de rompre avec la division internationale du travail héritée des conquêtes coloniales du XIXe siècle qui les a cantonnées à l’intérieur de leurs frontières artificielles et à des cultures de rente. Il est temps que la région entreprenne sa révolution agricole pour assurer sa sécurité alimentaire.
· Freiner la fuite des cerveaux
Selon la Commission économique des nations unies pour l’Afrique (CEA) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 23 000 universitaires et 50 000 cadres supérieurs et intermédiaires quittent chaque année le continent africain, tandis que 40 000 autres nantis d’un doctorat vivent à l’extérieur. Les deux tiers des étudiants restent dans les pays d’accueil après leur formation, faute de perspectives dans leurs pays d’origine.
Paradoxalement, les pays africains consacrent chaque année environ 4 milliards de dollars à l’emploi d’environ 100 000 expatriés non africains sur injonction des organismes de financement du développement qui obligent les pays emprunteurs à les engager en contrepartie des prêts qui leur sont accordés.
Le continent, pour réaliser son développement, a besoin de s’engager résolument dans une révolution agricole pour son autosuffisance alimentaire, la mise en place d’infrastructures, de services d’éducation et de santé de premier plan, et dans une industrialisation alimentée par des énergies propres. Comment pourrait-elle espérer y parvenir quand sa matière grise lui fait défaut ? Etant donné que l’on s’exile rarement de gaieté de cœur, la forme de lutte la plus efficace pour combattre les effets dévastateurs de la fuite des cerveaux réside dans la création des conditions politiques, économiques, sociales et sécuritaires propices à la mise en place d’un environnement qui dissuaderait les candidats au départ.
IV- Une nouvelle géopolitique mondiale
La Chine, l’Inde et les Etats-Unis seront les principaux partenaires des africains pour leur développement dans les décennies à venir. Les relations sino-africaines ont contribué à desserrer l’emprise des anciennes puissances coloniales européennes sur le continent. Cela a permis une nette amélioration des résultats économiques des pays de la région. Les relations avec l’Inde contribuent au développement du secteur privé. Celles avec le Japon visent à assurer la sécurité alimentaire de la région dans les dix années à venir. Quant aux relations afro-américaines, elles doivent être situées dans le contexte d’un monde en pleine mutation. Ainsi, toute analyse politique prospective du XXIe siècle devrait s’inspirer du déclin des hégémonies américaine et soviétique du siècle précédent et de l’émergence d’un nouvel ordre géopolitique. Celui-ci se forge, comme cela a toujours été le cas, sous l’impact des séismes conjugués d’une crise économique et monétaire mondiale, de conflits aux facettes multiples à l’échelle du globe, et de l’émergence de nouvelles puissances.
Des nouveaux colosses émergents qui combattent pour asseoir leur hégémonie dans le monde, les Etats-Unis sont, pour des raisons historiques évidentes, les mieux placés pour conclure avec l’Afrique un partenariat global pour le développement du continent. Ce serait, pour Washington, une politique ambitieuse et novatrice qui lui permettrait de renforcer ses armes pour demeurer au centre du nouvel ordre politique, économique, et monétaire qui va émerger dans les années à venir.
La conscience historique, la confiance en soi et la foi en l’avenir sont des préalables au développement des peuples. Dans cette perspective, l’avènement de Barack Obama 10 à la présidence américaine constitue un bénéfice inestimable sur le plan psychologique pour les générations actuelles et futures d’Africains et d’Africain-américains. Sa magistrature pourrait aussi être une opportunité réelle de mettre en place un néo plan Marshall pour le développement de l’Afrique.
Pour tirer le meilleur profit de l’ordre économique en voie d’émergence, la coopération que l’Afrique initiera avec ses différents partenaires devra s’inscrire dans une volonté réelle et authentique de partenariat.
V- Conclusion : Le développement de l’Afrique comme solution à la crise
Les pays du continent doivent, comme signalé précédemment, se libérer du carcan des marchés à l’intérieur duquel ils sont corsetés. Il s’agit, également, d’échapper à la version actuelle du néolibéralisme et de la mondialisation. C’est au sein d’une Union Africaine reformée et restructurée que les pays du continent, groupés et solidaires, peuvent y parvenir, notamment, par le moyen d’une politique de régionalisation fondée, dans une première phase, sur la mise en place des différentes étapes d’un marché unique totalement fonctionnel. L’unification politique et la naissance des États-Unis d’Afrique, seuls garants de l’indépendance et de la grandeur du continent, constitueront la deuxième phase du processus d’union.
Il est grand temps que l’Occident réalise que la construction de l’Afrique servirait ses propres intérêts, comme la reconstruction de l’Europe d’après-guerre avait servi ceux des Etats-Unis.
L’environnement économique dans la région est favorable à une révision radicale des stratégies de développement, car les conditions requises pour une industrialisation sont remplies, à savoir : des taux de profits élevés, une sécurité des investissements, une main-d’œuvre qualifiée et d’inépuisables réserves d’énergie.
S’agissant de la profitabilité des investissements, en règle générale, le taux de rentabilité interne sur les investissements étrangers directs a été en moyenne, en 2000, selon le Bureau d’analyse économique du Département d’État des États-Unis, de 19,4 % en Afrique, comparés à 18,9 % au Moyen-Orient, 15,1 % en Asie-Pacifique, 8,3 % en Amérique Latine et 10,9 % en l’Europe. Mais, en dépit du coté objectivement plus alléchant de ses marges bénéficiaires potentiels, l’Afrique n’a attiré que 1,1 milliards de dollars d’investissements directs étrangers en 2000, contre 1,9 milliards au Proche-Orient, 21 milliards en l’Asie-Pacifique, 19,9 milliards en Amérique Latine et 76,9 milliards en Europe 11.
Non seulement la part réservée à l’Afrique est modique, mais elle est très mal répartie, en cela qu’elle bénéficie essentiellement aux producteurs de pétrole comme le Nigeria et l’Angola. Les investissements se limitent en très grande partie au secteur primaire, prélude à l’asservissement de la région et à son appauvrissement dus à l’exploitation systématique des ressources sans contrepartie en investissements productifs, création d’emplois et exportation de biens manufacturés.
La sécurité d’un investissement se mesurant essentiellement à l’aune de la solvabilité des débiteurs, c’est le lieu de noter que les africains ont toujours été considérés comme les bons élèves des institutions de Bretton Woods. À l’exception de ceux en proie à des guerres civiles, ils n’ont jamais manqué à leurs engagements, contrairement à beaucoup d’autres pays comme la Russie, l’Argentine, le Mexique qui, pourtant, continuent de recevoir de larges montants d’investissements.
Autre facteur qui incite à investir dans un pays : l’existence avérée d’une main-d’œuvre qualifiée. Celle ci ne manque pas en Afrique, témoin le débauchage des cadres africains par l’Occident.
De surcroit, le continent abonde de sources d’énergies propres pour alimenter son industrialisation et son développement. Rappelons que les réserves d’énergie hydraulique du continent, estimées à des milliers de milliards de kilowatts/heure, représentent environ la moitié des réserves mondiales. Le Congo, second fleuve du monde en termes de débit (30 000 à 60 000 m³ par seconde), détient à lui seul plus de 600 milliards de kilowatt/heure de réserve annuelle. La Sanaga au Cameroun et l’Ogooué au Gabon en possèdent la moitié. Les problèmes liés au transport de l’électricité étant désormais techniquement résolus, l’exploitation de l’énergie hydroélectrique du seul fleuve Congo avec l’aménagement des barrages d’Inga et de Kisangani pourrait suffire à satisfaire les besoins en électricité du continent africain pour un programme d’industrialisation rationnelle devant conduire à un processus de développement respectueux de l’environnement.
Mieux encore, quelle que soit l’ampleur des ressources hydroélectriques que recèle l’Afrique, elles sont négligeables comparées à celles qu’offre l’énergie solaire. Le soleil déverse sur la terre tous les ans l’équivalent de 1,5 millions de barils d’énergie pétrolière au kilomètre carré. Grâce à une technologie appelée « Énergie solaire concentrée », deux scientifiques allemands, les docteurs Gerhard Knies et Franz Trieb, ont calculé qu’il suffirait de concentrer l’énergie solaire sur une superficie équivalente à 0,5 % des déserts chauds, en l’occurrence celui du Sahara pour couvrir les besoins du monde en énergie, sans compter les bénéfices additionnels que représenterait la possibilité de freiner l’avancée du désert et de fournir de l’eau dessalée aux régions désertiques du globe.
Pour conclure, l’Afrique peut représenter la nouvelle frontière pour un renouveau historique du monde, pour peu que les préjugés, aussi bien internes qu’externes, s’estompent. Sa construction peut donner naissance à la création des dizaines de millions d’emplois dont le monde a besoin dans les décennies à venir pour restaurer les équilibres. Cet objectif doit être le socle d’un réel partenariat entre l’Union africaine, ses États-membres et la communauté internationale. Ce partenariat doit reposer sur une appropriation africaine, authentique et définitive des stratégies adaptées à ses objectifs de développement et à ses spécificités culturelle et anthropologique.
Sanou MBAYE est un économiste sénégalais basé à Londres. Ancien haut fonctionnaire de la Banque Africaine de Développement, il est l’auteur de « L’Afrique au secours de l’Afrique » à paraître aux Editions de l’Atelier en janvier 2009.
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Notes:
- Jean Ziegler, L’Empire de la honte, Paris, Fayard, 2005. ↩
- Allemagne, Canada, États-Unis d’Amérique, France, Italie, Japon, Royaume-Uni, Russie, Afrique du Sud, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie). L’Union européenne est elle aussi représentée, par le Président du conseil et celui de la Banque centrale européenne, ce qui explique le nom de G-20. ↩
- Pays membres : Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande Vietnam, Brunei. ↩
- Pays membres : Venezuela, Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay. On dénombre cinq pays associés : le Chili, la Bolivie, la Colombie, l’Équateur et le Pérou, ainsi qu’un état observateur, le Mexique. ↩
- Sources: CEPAL/OMC ↩
- Rapport CEPAL 2002 CEPAL Nations Unies. ↩
- Pays membres : Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan et Ouzbékistan. États observateurs de l’OCS : Inde, Iran, Mongolie et Pakistan. ↩
- Rapport sur le développement en Afrique de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), publié le 26 septembre 2007. ↩
- Cf. Le Programme des Pays du Nord sur l’Investissement à l’OMC : « Faites ce que nous disons, pas ce que nous avons fait » par Ha-Joon Chang (Université de Cambridge) et Duncan Green (CAFOD) South Centre/CAFOD, juin 2003, voir le site: Le Programme des Pays du Nord sur l’Investissement à l’OMC : Faites ce que nous disons, pas ce que nous avons fait, Ha-Joon Chang (Université de Cambridge) et Duncan Green (CAFOD) South Centre/CAFOD, juin 2003. / (accédé en août 2008) / THE NORTHERN WTO AGENDA ON INVESTMENT (University of Cambridge) and Duncan Green (CAFOD) South Centre/CAFOD, June 2003. (accédé en août 2008). ↩
- Barack Hussein Obama II, né le 4 août 1961 à Honolulu, Hawaii, est le premier homme politique américain noir élu 44e président des Etats-Unis le 4 Novembre 2008. ↩
- HSBC’s World Economic Watch, 11 octobre 2001, rapport fondé sur des données fournies par le Bureau d’analyse économique des États-Unis. ↩