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Depuis le milieu des années 2004, l’embellie des cours des matières premières contribue certes à remplir les coffres des pays producteurs mais provoque à travers le monde des manifestations de mécontentement et d’inquiétude face à la hausse des prix du pétrole et des produits alimentaires qui en ont résulté. La réunion des chefs d’états des pays de la planète qui s’est tenue début juin à Rome sous l’égide des Nations unies et de la FAO témoigne de l’urgence du problème qui figure désormais parmi les préoccupations les plus urgentes auxquelles doit faire face l’humanité.
Deux événements majeurs sont à l’origine du boum des matières premières.
Tout d’abord, la crise qui affecte les marchés des capitaux et les principales institutions financières du monde, les regains d’inflation, la chute du dollar et la faiblesse de l’économie américaine ont fait du pétrole et des métaux précieux, tels que l’or et le platine, des valeurs refuges pour les investisseurs et les spéculateurs.
L’autre facteur contributif découle de la progression de la demande des Asiatiques en matières premières, particulièrement des Chinois. C’est ainsi que depuis 2004 les prix des matières premières se sont envolés, le pétrole et l’or étant respectivement passés au dessus de la barre des 100 dollars le baril et des 1000 dollars l’once.
Pour l’Afrique, riche de ses énormes ressources géologiques et minières les retombées de cette hausse des coûts sont à la fois positives et négatives.
Une importante manne financière
L’aspect positif est que la région connaît des taux de croissance économique supérieurs à 5% depuis 2004, tandis que, dans le même temps, les pays producteurs de matières premières voient leurs recettes d’exportation s’accroître. Selon le département américain de l’Energie, les importations de pétrole des Etats-Unis devaient rapporter aux producteurs de pétrole africains quelque 200 milliards de dollars à la fin de la décennie. Ces projections de recettes étaient basées sur un prix du baril qui se situait autour de 20 dollars. Maintenant qu’il dépasse les 100 dollars, et si l’on tient compte des recettes engrangées par les approvisionnements de la Chine en pétrole, à hauteur de 30% de ses besoins, c’est un pactole vertigineux que vont enregistrer certaines trésoreries africaines, surtout si l’on y ajoute la manne tirée de toutes les autres matières premières que recèle le continent.
Les aspects négatifs de la croissance des prix
Les aspects négatifs de la croissance des prix sont de l’ordre de trois.
La hausse des prix du pétrole a donné à coup sur un coup de fouet aux économies pétrolières de la région. Mais, tirer sa croissance des seules exportations de pétrole a généré trois maux dans le passé : un comportement de rentier, qui n’incite pas à l’entreprenariat, à la modernisation et à la diversification de l’économie ; des conflits pour l’appropriation de la rente, et le « syndrome hollandais 1», c’est à dire une appréciation de la monnaie qui a érodé la compétitivité des industries naissantes.
Ensuite, l’augmentation des coûts, dans les pays importateurs africains nets de pétrole, a anéanti le peu de progrès qu’ils avaient réalisés ces dernières années. La Banque Africaine de Développent (BAD) a estimé que les activités économiques de ces pays pourraient subir une contraction pouvant aller jusqu’à 20%.
Si l’on y ajoute le renchérissement des coûts des denrées alimentaires de base : riz, blé, viande, sucre, huile, etc., il n’est pas étonnant que les « émeutes de la faim » se multiplient dans certains pays (Egypte, Maroc, Tunisie, Côte d’Ivoire, Cameroun, Burkina Faso, Sénégal, Madagascar), et qu’elles deviennent de plus en plus violentes au point de provoquer des morts. D’évidence, d’autres pays viendront grossir la liste précitée. La Banque Mondiale estime que 33 pays pourraient connaître des troubles politiques et des désordres sociaux en raison de la forte hausse des prix des produits alimentaires et énergétiques.
Oser une nouvelle voie
Pour pérenniser les progrès économiques actuels, tout en contrant les effets pervers de la hausse des prix des matières premières, les pays d’Afrique subsahariens devraient traduire dans les faits la solidarité budgétaire inscrite dans les programmes de toutes les organisations régionales pour optimiser leurs propres ressources, en profitant du boum des matières premières. Pour ce faire, ils doivent rompre avec la division internationale du travail qui ne leur assigne que le rôle de producteurs de matières premières, et ce, depuis des temps immémoriaux. Leur accession à l’« indépendance » n’y a rien changé. Ne disposant que d’embryons de marchés des capitaux nationaux, ne pouvant pas non plus lever des fonds autres que ceux des banques multilatérales, des sources bilatérales et des banques commerciales, ces pays, pour sortir du piège infernal dans lequel ils sont enfermés, auraient tout intérêt à créer une Confédération panafricaine pour la gestion de leurs matières premières. Cet organisme poursuivrait trois objectifs :
- le premier contribuerait à réguler les cours des matières premières qui n’ont cessé de faire l’objet de spéculations à la baisse ou à la hausse selon les circonstances, les besoins et les caprices des spéculateurs ;
- le second consisterait à rompre avec le néo-libéralisme prôné par les institutions de Bretton Wood pour mettre en place une stratégie alternative de développement fondée sur des économies planifiées, régulées et contrôlées, des politiques provisoires de subvention des secteurs clés de la santé, de l’éducation, de la production vivrière et de la recherche. La protection des industries naissantes viendrait compléter cette panoplie de mesures ;
- le troisième serait de pourvoir les pays membres de l’Union Africaine des moyens nécessaires pour construire leur unité économique, politique et monétaire : une entreprise coûteuse et de longue haleine et qui nécessitera une réelle volonté politique en même temps que d’énormes ressources financières. A ce titre la confédération panafricaine pour la gestion des matières premières constituerait une source de revenus salvatrice.