L’avenir des pays de la zone franc dépend avant tout de leur capacité à mettre en ouvre des politiques économiques appropriées . La fusion de la BCEAO et de la Béac, en un institut d’émission indépendant tant de la France que des Etats africains, en fait partie. Tout comme la création d’une nouvelle monnaie commune, ressemblant comme une sœur à la monnaie qui avait cours en Afrique avant la colonisation. A ce prix, les sacrifices que consentent les peuples d’Afrique ne seront pas inutiles.
IL PEUT PARAITRE surprenant que plus de trente ans après leurs indépendances, les pays de la zone franc doivent, s’ils veulent se réformer et sortir de leurs difficultés, revenir aux structures d’intégration économique coloniales que la France avait mises sur pied pour contrôler, orienter et systématiquement exploiter les économies des pays de son empire et que les dirigeants africains des jeunes Etats ont, malencontreusement, laissé péricliter après les indépendances.
De 1450 à 1960, la coopération monétaire et la coordination des politiques économiques avec la France dans le cadre de la zone franc avaient en effet reposé sur une unité politique et monétaire et sur le principe de libre-échange à l’intérieur des Etats de l’Empire colonial.
LES INDEPENDANCES ONT PROVOQUE LE RALENTISSEMENT DU COMMERCE INTRA-AFRICAIN
Ainsi, à la veille de leur accession à l’indépendance, les économies des colonies francaises étaient fortement intégrées. Au lendemain des indépendances, la Guinée, le Mali (provisoirement), la Mauritanie et Madagascar, auxquels se sont jointes les anciennes colonies françaises d’Afrique du Nord et d’Asie, ont choisi d’abandonner la zone franc pour mener des politiques économiques et monétaires autonomes. Les autres pays d’Afrique noire ont, eux, résolu de conserver leur monnaie unique, le franc CFA tout en démantelant le marché commun et les structures fédérales dans lesquels ils opéraient sous le régime colonial. Ils se sont employés à ériger des barrières douanières entre eux au lieu de reconfigurer l’héritage fédéral au profit, non plus de l’expansion du commerce transatlantique, mais de celle des courants d’échanges intra-africains – dont le dynamisme fit naguère la prospérité des grands empires pré-coloniaux du Ghana (du Ve au XI e siècle), du Mali (1250-1400) et de l’Empire Songhaï (1400-1591).
Les conséquences s’en sont révélées désastreuses non seulement pour les pays de la zone franc, mais aussi pour celles des autres pays de la sous-région.
Les pays de la sous-région ont eu à souffrir de la contrebande eu égard au statut de convertibilité du franc CFA. C’est du fait de la contrebande que le Nigeria a encouru dans le passé des pertes importantes de revenus pétroliers. La contrebande a aussi contribué à l’affaissement du secteur du cacao au Ghana. Ce phénomène est encore une cause de tensions permanentes entre la Gambie et le Sénégal.
Sur le plan politique, les positions prises par certains dirigeants politiques des pays de la zone franc, qui reflétaient celles de la France sur des questions telles que la guerre du Biafra et la lutte contre l’apartheid, ont contribué à accentuer les divisions entre pays anglophones et pays francophones.
A l’intérieur de la zone franc, les structures de production et les circuits financiers, orientés vers l’exploitation et la consommation et non l’investissement productif, ont donné naissance à un environnement politique, économique et social impropre au développement.
L’accent mis désormais sur la libéralisation des échanges et l’indépendance des banques centrales doit servir d’exemple. La France vient d’épouser ce principe en rendant indépendante la Banque de France. En revanche, elle dénie ce principe d’indépendance à la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et à la Banque des Etats d’Afrique Centrale (Béac) grâce à l’exercice d’un droit de veto que les statuts des deux Banques centrales ont conféré à la France et aussi grâce à la rétention par la France de 65% des réserves de change de ses anciennes colonies. Cette situation constitue, il est vrai, une véritable rente de situation pour la France, ses entreprises et ses alliés africains au sein des équipes dirigeantes.
Une situation d’autant plus regrettable pour les pays de la zone franc qu’elle se place dans un contexte de métamorphose du système économique mondial avec des profils d’investissements et des perspectives de rentabilité beaucoup plus favorables aux pays en développement. Salomon Brothers, la banque américaine d’investissement, a estimé à 40 milliards de dollars l’afflux d’investissements dont ont joui en 1991 les économies d’Amérique latine, notamment le Mexique, le Venezuela, le Brésil, l’Argentine et le Chili. Ce flux s’est monté à 56 milliards de dollars pour la Chine de 1989 à 1991.
<>Les pays de la zone franc, qui sont passés par les mêmes politiques d’assainissement, auraient pu bénéficier d’une manne identique principalement alimentée par les avoirs de nationaux détenus à l’étranger. Mais l’échec des Programmes d’ajustement structurel (Pas) conduits dans la région, un taux de change surévalué, une fuite massive de capitaux intensifiée par la spéculation sur la dévaluation du franc CFA et le volume réduit de la masse monétaire estimée, selon l’Office français du commerce extérieur (OFCE), à 1,26% seulement de l’ensemble de la masse monétaire française (Afrique, France et départements et territoires d’outre-mer réunis), n’ont pas permis la répétition de l’aubaine en Afrique noire dite francophone.
Il serait sans doute opportun de refondre les deux banques centrales en un seul institut d’émission indépendant, aussi bien de la France que des gouvernements africains. Et étant donné l’irrélevance de la dévaluation du franc CFA qui va contribuer à un gonflement de la masse monétaire, une augmentation des prix, de l’encours de la dette, du chômage et des importations, il serait peut-être judicieux de s’affranchir du franc CFA pour de bon, grâce à la création d’une nouvelle monnaie unique, que l’on pourrait baptiser cauri, en réminiscence de la monnaie d’échange pré-coloniale qui remplissait la triple fonction d’unité de la valeur, d’intermédiaire des échanges et de monnaie de réserve, qui avait cours dans toutes les régions d’Afrique.
Le recours à la création d’une nouvelle unité de compte, par le biais du recouvrement des réserves de change des pays de la zone franc détenues par la France, permettrait à la fois de faire l’économie de dévaluations en cascades et de la multiplication des traumatismes qu’elles causent aux populations.
Cette monnaie commune, quelle soit convertible ou non, devra être stable et servir d’interface financier à des économies intégrées opérant au sein d’un marché commun dans un espace politique démocratique à vocation unitaire. Pour être viables, ces politiques doivent se faire dans le cadre de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) pour inclure dans le processus le Ghana et le Nigeria.
Mais quelque soit le cadre qui servira de support aux réformes à mettre en place, leur succès dépendra de la résolution du problème du service et du remboursement de la dette. Il est inconcevable d’imaginer enregistrer un succès quelconque dans un projet de réforme tant que la dette absorbera jusqu’à 40% des recettes d’exportation des pays de la région, alors que le prix des matières premières continuent de décliner et que persiste une dépendance alimentaire obligeant les pays à s’endetter à court terme, à des taux d’intérêt prohibitifs pouvant aller jusqu’à 20%, auprès des banques commerciales – toutes françaises à l’exception de la Citibank – pour financer des importations de denrées alimentaires, d’hydrocarbures, etc.
S’agissant du problème de la dette, il convient de distinguer les dettes bilatérales des dettes multilatérales.
La part la plus importante de la dette bilatérale des pays de la zone franc est due à la France. Mais si on met en parallèle le volume de cette dette et les multiples avantages que la France et ses ressortissants ont tiré et continuent de tirer de leurs alliés africains: commerce lucratif des esclaves auquel on a mis fin qu’en 1848 ; production d’or des colonies qui a permis à l’Hexagone de traverser mieux que d’autres la grande crise de 1929 et au général de Gaulle, de financer dès 1942 l’effort de guerre de la France libre ; jouissance de bases militaires qui ne font l’objet d’aucun revenu locatif ; vastes débouchés pour ses exportations ; transfert d’une partie importante de l’épargne nationale africaine ; influence politique ; source d’approvisionnement de matières premières bon marché.force est de constater que les raisons d’annuler cette dette sont nombreuses. Et que dire des créances liées à l’esclavage et au travail forcé dues au peuple noir et qu’il conviendra de recouvrer pour capitaliser un Fonds panafricain de reconstruction et de développement.
La dette multilatérale est, quant à elle, due principalement aux institutions de Bretton Woods. Les pays de la zone franc en sont aujourd’hui à leur verser plus d’argent qu’ils n’en reçoivent. La principale raison de cette situation kafkaïenne est double.
Il y a d’abord les prêts contractés par les pays concernés auprès de la Banque mondiale pour réaliser des projets sectoriels. Les conditions et les calendriers de remboursement de ces prêts sont déterminés en fonction de taux de rentabilité calculés sur la base de projections de coûts et de recettes faites par la Banque mondiale elle-même. Quand ces projections se révèlent fausses, ce qui est souvent le cas comme en attestent les rapports de post-évaluation et les rapports d’audit, l’emprunteur en fait les frais tandis que la Banque continue, comme si de rien n’était, à percevoir la rentée de ses créances.
LES PEUPLES D’AFRIQUE NOIRE CONSENTENT DEJA BEAUCOUP DE SACRIFICES
Il y a ensuite les Programmes d’ajustement structurels (Pas). Ceux financés dans la région ont échoué à cause de leur manque de coordination à l’échelle régionale, de l’étroitesse de leurs objectifs qui se sont limités en un vain exercice de réduction des déficits budgétaires, et de l’illusion qu’il est possible de fonder un développement durable sur l’exportation de matières premières et de produits de base aux cours déclinants depuis trois décennies.
De plus, en l’absence de marchés de capitaux capables de mobiliser l’épargne intérieure et les capitaux exilés, les mesures de privatisation prônées dans le cadre de ces programmes de réformes macroéconomiques et sectorielles se sont résumées à brader à crédit nos actifs nationaux à de puissants groupes industriels, français pour la plupart. Ces groupes ont ensuite usé de leur influence pour spéculer sur la dévaluation du franc CFA pour réduire à la potion congrue le prix de leurs acquisitions.
Il est de bon aloi de courtiser les institutions de Bretton Woods en vue de l’annulation de la dette, plaçant de nouveau l’Afrique dans le rôle du quémandeur. C’est oublier, qu’en l’absence d’accès aux marchés des capitaux, l’Afrique noire a dû sous-traiter son développement aux institutions de Bretton Woods. Or, le contrat de sous-traitance n’a pas été honoré. L’emprunt procède d’une transaction financière entre deux ou plusieurs parties. Si cette transaction est préjudiciable à l’une des parties, celle qui a été dupée peut et doit recourir à la clause d’arbitrage stipulée dans les accords de prêts pour demander réparation.
Des sacrifices, les peuples d’Afrique noire en consentent déjà beaucoup et la dévaluation du franc CFA va les augmenter. Il n’est pas compréhensible que tant de souffrances ne soient pas mises au service de l’unité politique et économique des pays de la zone.
Espérons donc qu’à cause de l’urgence, et parce que nous sommes au fond du gouffre et que rien de pire ne peut plus nous arriver, nous allons nous armer collectivement de la ferme volonté de réussir, d’organiser et de maîtriser notre avenir en dépit et à cause de l’incurie des dirigeants politiques de la zone.
Chargé de finance pour l’Europe, Bureau européen de la Banqueafricaine de développement à Londres
L’auteur s’exprime ici à titre personnel.